Julius Nyerere

Père de la nation tanzanienne, le culte a la peau dure

Travailleur acharné de l’indépendance puis de l’union entre Tanganyika et Zanzibar, leader incontesté de Tanzanie pendant 25 ans, défenseur du panafricanisme et d’un socialisme africain, Julius Nyerere, mort en 1999, est toujours vénéré en Tanzanie. Pourtant les héritiers du parti qu’il a créé perdent aujourd’hui la confiance du peuple.

     Dans tous les bâtiments officiels, les banques, les postes, les administrations, le portrait de Julius Nyerere trône aux côtés de celui de Kikwete, l’actuel président tanzanien en costume sombre. Consigne gouvernementale. Ce n’est pas pour déplaire à l’immense majorité des Tanzaniens : avec ses cheveux gris-blancs, sa chemise africaine et son regard bienveillant, Julius Nyerere reste dans l’esprit de beaucoup un père. Baba wa taifa. Le père de la nation. 

     Aujourd’hui encore, les jeunes artistes s’inspirent du premier président de Tanzanie. Les chanteurs de hip-hop notamment le citent souvent. La chaine de télévision publique ainsi que la radio nationale diffusent presque chaque jour des passages de ses discours. « Pour ne pas oublier son message. » Et le 14 octobre, jour de sa mort, rebaptisé Nyerere Day, est férié pour tout le monde.

     « A l’école, les enfants tanzaniens apprennent quel bon président Nyerere était », raconte Steve Saning’o, journaliste politique à son compte. Les professeurs présentent l’homme comme la deuxième icône africaine, après Nelson Mandela. Car il s’est battu pour son pays, mais aussi pour son continent. » Pour beaucoup, ce tableau flatteur reste la seule approche qu’ils auront de Nyerere. Très peu continuent les études et ceux qui le font se voient encore vanter les mérites du Mwalimu, le professeur en swahili, comme on aime l’appeler ici. Avant de se lancer dans la politique, Nyerere a en effet commencé comme enseignant, figure respectée en Tanzanie. 

     Rares donc sont les critiques à l’égard de Julius Nyerere et de son héritage. Parmi toutes les personnes interrogées, professeurs, étudiants, agriculteurs, mineurs, mères au foyer, seule une a émis des réserves sur le premier président de Tanzanie. Thomas Moinket, 30 ans, est conducteur de taxi moto. Il explique cet engouement par un manque d’informations : « Nous lisons très peu en Tanzanie. Donc les seules connaissances que les gens ont de Nyerere sont celles que les politiques actuels leur donnent. Or tous se réclament de son héritage. Le CCM au pouvoir, puisque le parti a été créé par Nyerere, mais aussi l’opposition, qui montre du doigt la corruption du gouvernement, l’accusant de s’écarter de la voie montrée par Nyerere, quand elle en est toujours porteuse. » Thomas Moinket en veut à ses concitoyens de ne pas plus creuser le sujet. Lui est passionné de politique. « C’est comme cela que j’ai découvert que Nyerere avait laissé notre pays dans un état économique catastrophique. »

     Il développe : « Pour moi, Nyerere était surtout un bon orateur. C’est comme cela qu’il a réussi à rassembler autant de personnes derrière lui. Mais les problèmes étaient nombreux pour le peuple, au quotidien. Si la sécurité n’était pas trop mauvaise, l’éducation était très pauvre, le système de santé également et les infrastructures pas suffisantes. En bref, tout ce qui nécessitait de l’argent n’était pas à la hauteur, car le système économique n’était, à mon avis, pas viable. » Ujamaa. C’est le modèle mis en place par Nyerere. En swahili, le terme désigne l’unité, l’harmonie. Tout est tourné vers la communauté. La nation devient une grande famille, unie par une même langue, et chaque Tanzanien doit participer à faire avancer le pays. « Pour certain, ça a été dramatique, affirme Thomas Moinket. Pour les agriculteurs notamment, puisque la collectivisation a entrainé beaucoup de déplacement de population et de contraintes sur les productions. »

     Principal fléau, teinté d’inflation, la corruption. « Si une cigarette coutait 1 000 shillings, il fallait payer le prix plus 1 000 shillings supplémentaires pour l’obtenir, raconte Thomas Moinket. Un peu comme une taxe non officielle pour la nation. Résultat, le pays est tombé dans une grande dépendance à l’aide internationale. » A la tête du pays, Nyerere est seul. Le multipartisme n’est instauré qu’en 1994, près de 10 ans après que le Professeur se soit retiré de la vie politique. Pas d’opposition, pas de révolution. « Nous devons être le seul pays africain qui n’a pas connu de changement politique depuis 50 ans », s’exclame Thomas ! Pour le jeune homme, c’est toujours Nyerere qui est au pouvoir aujourd’hui. « Tous les présidents qui lui ont succédés, c’est lui qui les a choisis. Y compris Kikwete, actuellement au pouvoir. Il lui avait dit, tu seras président mais patiente un peu, ce n’est pas encore ton tour. Le CCM a l’argent, le pouvoir, le réseau… » C’est pourquoi Thomas ne croit pas en une victoire de Chadema, l’opposition, aux élections présidentielles, en 2015.

     Pour le journaliste politique Steve Saning’o en revanche, un changement de bord est possible. « Les différents partis d’opposition se sont unis en un collectif, Ukawa. Il remporte des victoires aux élections locales et pourraient bien percer l’année prochaine. » Mais les actuels dirigeants n’ont pas l’air prêts à faire ce pour quoi Nyerere est le plus admiré : quitter le pouvoir volontairement, alors qu’il avait les moyens de rester. « C’est rare en Afrique, assure Steve Saning’o. Nyerere a vécu simplement, et ses enfants aussi. Aujourd’hui, les enfants des gouvernants partent tous en Europe ou le plus souvent aux Etats-Unis. Le fossé se creuse. Les citoyens finiront par se lasser. »

Anne-Emmanuelle Lambert


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