Willy Chambulo

braconnage afrique


Plus c’est difficile, plus l’opportunité est grande. » Wilbard Chambulo a inscrit sa devise dans sa signature électronique. Comme pour bien diffuser son message. « La réussite ne vient pas en un jour : il faut la construire à force de persévérance et de discipline. » Aux yeux de Willy – comme tout le monde l’appelle –, c’est justement de discipline dont manquent ses concitoyens pour arriver là où lui en est. « Ils rêvent de richesse immédiate quand j’ai toujours cherché à progresser petit à petit, sans jamais imaginer le sommet que j’ai atteint aujourd’hui. Mais cela commence à changer. Les Tanzaniens se réveillent et veulent leur part du gâteau. » Pour l’heure, Wilbard Chambulo est le seul Tanzanien à percer dans le tourisme, univers confisqué par les Occidentaux et les Indiens. A la tête de Kibo Guides et Tanganyika Wilderness Camps, deux compagnies de tourisme réputées, il a réalisé un chiffre d’affaires de 26 millions d’euros en 2013 et espère atteindre les 28 millions cette année. Surtout, parce qu’il dit ce qu’il pense, « y compris au gouvernement », il a été élu il y a un an président de l’association tanzanienne des tour-opérateurs. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est du bruit. Et ça je sais bien faire. »

hôtel piscine tanzanie

Premiers pas

     Si aujourd’hui Wilbard Chambulo gagne en moyenne 300 000 dollars par an, « en fonction des bénéfices de l’entreprise », il n’est pourtant parti de rien. Né d’un père mi-Masai mi-Allemand (son grand-père était officier vétérinaire pendant la Seconde Guerre mondiale) et d’une mère mi-Masai mi-Irlandaise, Willy, lui, se sent pleinement Africain. Il a vu le jour en 1962 à Longido, village poussiéreux à quelques kilomètres de la frontière avec le Kenya, au nord du pays, et a déménagé avec sa famille à Arusha quand il n’avait que six ans. « A l’époque, c’était une toute petite ville. Il n’y avait qu’une seule route et mon occupation favorite était de regarder passer les rares voitures. J’étais émerveillé. » Des prêtres missionnaires donnent classe sous un arbre.

qui massaï tanzanie

     « Quand il pleuvait, c’était la fête car il n’y avait pas école ! » Wilbard n’est pas un bon élève. Il échoue à ses examens de fin de cursus et n’est autorisé à redoubler que parce que sa mère est très impliquée dans la paroisse et que lui-même est enfant de chœur. Malgré cela, à 14 ans, force est de constater qu’il ne poursuivra pas ses études. Il est renvoyé chez lui, où il mène une « vie africaine : ma famille était très pauvre. Nous n’avions rien qu’une maison en terre séchée et un toit de paille. » Le jeune homme est très proche de sa mère mais pas des enfants des autres femmes de son père. De ce dernier, alcoolique, Wilbard ne parle que très peu et avec amertume.

safari tarangire

A 15 ans, il est embauché dans un garage, comme apprenti mécanicien. Il apprend vite. Si bien que peu à peu, il propose discrètement aux clients de venir faire réparer leur voiture chez lui, leur promettant qu’ils paieront moins cher. Bientôt, le jeune débrouillard a plus de clients que son propre patron. Mais ce dernier s’en rend compte et le renvoie.Wilbard trouve un travail de cuisinier dans un petit restaurant local. « L’avantage était que je pouvais manger gratuitement. A l’époque, me nourrir, c’est tout ce qui comptait. » Il y reste un an. Puis vient le premier emploi dans une compagnie touristique. Comme mécanicien. « Je gagnais 300 shillings par mois. » L’équivalent de 15 centimes d’euro aujourd’hui. « Je donnais l’ensemble de mon salaire à ma mère. Elle savait quand j’étais payé et combien. Pas moyen de tricher. Ça m’a sûrement évité quelques bêtises. Et en Afrique la famille passe avant tout. »

Prise de conscience

kibo palace

     Peu à peu, leur niveau de vie augmente. « On a pu acheter une vache, puis quelques cochons, et enfin du ciment pour construire une maison en dur. » En 1986, sa compagnie l’envoie dans le Serengeti. C’est la première fois que le jeune homme pénètre dans un parc national. « J’étais très impressionné, ça a été la révélation. » C’est en effet ce jour-là que le jeune homme prend conscience de l’importance de la vie sauvage en Tanzanie. Aujourd’hui, il se bat activement contre le braconnage. « Si les éléphants continuent d’être abattus à ce rythme, il n’y en aura plus en Tanzanie en 2017. Dans trois ans ! Or plus d’éléphants, plus de tourisme. »    

     Agacé, Wilbard agite ses larges mains en l’air. « J’entends souvent dire que ce sont les tribus locales qui tuent les éléphants. C’est faux. Les tueurs ne peuvent pas être pauvres. Si c’était eux, ils prendraient aussi la viande pour se nourrir. Hors les bêtes braconnées sont intactes. » Il conclut : « Qui plus est, il faut une logistique importante pour braconner. Pour moi, c’est l’œuvre des riches. » Wilbard Chambulo reconnait en revanche que les populations locales ne dénoncent pas ces braconniers, et ne cherchent pas à les empêcher d’agir. « Les animaux sauvages ne sont pas tous dans les parcs. Ils sont libres. Quand ils passent par des zones habitées et cultivées, ils mangent tout sur leur passage. Les habitants se retrouvent sans rien pour l’année, et personne ne les dédommage. Alors bien sûr, quand un braconnier arrive et leur demande où trouver des éléphants, le paysan le conduit bien volontiers à eux. »

protection éléphants tanzanie

     « Le gouvernement est cupide, poursuit Wilbard Chambulo, on ne peut pas compter sur lui pour changer les choses. A mon sens, il faut impliquer les locaux. Leur donner des compensations pour leurs pertes, leur montrer l’intérêt de préserver la vie sauvage, qui attire beaucoup de touristes et potentiellement beaucoup d’argent en Tanzanie. Mais pour cela, il faut que les Tanzaniens voient la couleur de cet argent, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. » Wilbard a demandé au gouvernement de déclarer le braconnage des éléphants catastrophe naturelle. Sans succès pour le moment. « Notre intérêt numéro un, c’est la conservation. Mais le gouvernement nous détruit », lâche-t-il, amer.A l’époque de sa première entrée dans le Serengeti, l’anglais de Wilbard Chambulo n’est pas bon – aujourd’hui il mélange swahili et anglais en permanence, surtout au téléphone, le tout saupoudré de « joder », son juron espagnol favori. On ne lui confiait donc que les clients Tanzaniens d’origine indienne, les fortunés du pays. Il est alors conducteur, pas encore guide, mais il apprend beaucoup, se procure des livres sur les animaux.

piste afrique

En 1987, il conduit son premier touriste blanc. « Un Sir anglais.» Mais un Sir qui parle swahili, depuis son passage en Tanzanie pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre les deux hommes, le courant passe bien. Au point que l’Anglais fait embaucher Wilbard dans la compagnie la plus prestigieuse de l’époque, Abercrombie and Kent. « Mais j’étais jeune, j’ai pris la voiture du patron pour aller crâner devant mon ancienne boîte ! » L’impétueux est renvoyé le jour même. Retour à la case cuisinier. Willy ne se laisse pas abattre et accepte des extras pour mettre de côté : lessive, ménage, bricolage… Tout est bon à prendre. Jusqu’au jour où il est de nouveau embauché dans une compagnie de tourisme pour réparer les voitures. Pendant la haute saison, il rencontre un couple suisse et les invite chez lui. Ils sympathisent. Le mari est patron d’un garage à Zurich. Il propose à Willy de l’embaucher, à condition qu’il apprenne l’allemand sur place, et lui offre un vol. « Le soir même je n’ai pas dormi de la nuit. J’étais excitée mais j’hésitais à laisser ma mère seule derrière moi. » Mais l’appel de l’aventure est plus fort. Un mois plus tard, le jeune homme atterrit à Zurich, avec pour seul bagage le jean, le T-shirt et les chaussures qu’il porte sur lui, sans avoir pensé à la neige qui l’accueille.

     Wilbard Chambulo reste un an en Suisse. « J’avais un emploi du temps chargé : tôt le matin j’allais en cours d’allemand, puis au travail, et de nouveau en cours le soir. » Il découvre également un style de vie complètement différent et fini par avoir le mal du pays. Avec ses économies, il achète un combi Volkswagen, que son couple d’amis s’est proposé de faire acheminer en Tanzanie. Eux aussi suivent, avec l’envie d’investir. De retour au pays, tous trois ouvrent Dikdik Lodge. Le couple achète la terre, Willy est la caution tanzanienne auprès du gouvernement.

 

Nouveau départ

 Tanganyika Wilderness Camps

     L’entreprise fonctionne mais leur amitié bat de l’aile. Willy a envie de voler des siennes. Le trio se sépare et Wilbard est embauché à Impala Hotel, où il rencontre sa femme. Peu de temps après, en 1990, naît son premier fils. Le jeune père accepte des missions en free-lance avec son combi Volkswagen pour assurer la stabilité financière de son foyer. Il propose des safaris bon marché et les contrats se multiplient. En 1995, il crée sa propre compagnie, Kibo Safaris, avec une seule voiture, une vieille Land Rover qu’il répare lui-même. « Grâce à cela je me suis construit une maison, puis mes propres sites de camping. » Wilbard commence à être connu. « Puis je me suis adapté à la demande de mes clients et peu à peu, les campings sont devenus de plus en plus confortables, de plus en plus luxueux. »

     En 2002, il achète des terres. « Mon rêve était d’avoir mon propre lodge. Pour que tout l’argent dépensé par les touristes arrive dans mes poches, plus dans celles des autres ! » Aujourd’hui, il en a 23, soit potentiellement 1 100 lits par nuit, à 200 dollars en moyenne la chambre. « Attention, il faut tenir compte du fait que notre taux de remplissage sur l’année est de 51% », nuance l’homme d’affaire qu’il est, malgré son look décontracté et ses courtes dreadlocks sur la tête. « En juillet et en août, on atteint peut-être 75 %, montre-t-il sur son logiciel de réservation, mais en basse saison c’est compliqué. » Pour Wilbard Chambulo en effet, les chiffres officiels du tourisme en Tanzanie ne reflètent pas la réalité. Selon la banque mondiale, il s’agirait d’un millions de touristes en 2012. Le gouvernement tanzanien avance 1,2 millions en 2013. « C’est bien moins que cela, assure de son côté Wilbard Chambulo, s’énervant sur sa calculatrice.

wilbard chambulo

Dans les données officielles, est considéré touriste toute personne n’étant pas dans son pays pendant 24 h. Mais dans ces personnes, il y a des Kenyans voisins, qui viennent pour les affaires, des Occidentaux qui commencent par prendre un visa touriste mais pour s’installer à plus long terme dans le pays. Toutes ces personnes ne dépensent pas comme des touristes. De toute façon, les compagnies aériennes qui desservent la Tanzanie acheminent bien moins de personne que cela. Sans compter le fait que si un million de touristes était venu en 2013, payant chacun un visa touriste à 50 dollars, cela ferait une recette de cinq millions de dollars. Où est cet argent ? Il n’apparait pas dans le budget de l’Etat. » Cela, Willy n’a pas hésité à le dire au ministre du tourisme en personne, lors d’une séance sur la question au Parlement.

     Wilbard poursuit : « Pour la période janvier-juin 2014, nous sommes déjà à moins 3 % par rapport à 2013. Car la Tanzanie reste plus chère que les pays voisins et les conséquences de la crise se font toujours sentir, car la coupe du monde de football a attiré des clients potentiels au Brésil, car l’insécurité au Kenya voisin inquiète ceux qui prévoyaient de faire des safaris dans les deux pays… Sans parler d’Ebola.»

willy chambulo office

Dans ce contexte, Wilbard Chambulo redoute particulièrement les nouvelles taxes imposées par le gouvernement à l’industrie du tourisme. « Le 1er juillet, nous avons découvert une nouvelle taxe de 10 dollars par personne à l’entrée des zones de conservations. Personne ne nous avait prévenus. Aucune loi n’avait été votée dans ce sens. » L’association tanzanienne des tour-opérateurs a donc entamé une action en justice contre le gouvernement. Ce dernier a 90 jours pour répondre. Quand nous avons rencontré Wilbard Chambulo, il n’en restait que 45. « Je les compte », s’exclamait-il ! Autre ombre au tableau, une TVA de 18 % sur l’industrie du tourisme, jusqu’alors partiellement exemptée, devrait être votée en novembre.
Malgré ses préoccupations, Wilbard Chambulo n’a plus de soucis à se faire. « Aujourd’hui je peux assurer l’éducation de mes enfants et subvenir à leurs besoins jusqu’à ma mort. » Son fils aîné, 24 ans, étudie le cinéma à San Francisco, et sa fille de 20 ans la mode à New York. Quand aux jumeaux, 14 ans, ils sont élèves à Braeburn, l’un des lycées internationaux les plus prestigieux de Tanzanie. « Ce dont je suis fier, c’est de leur avoir offert le choix. »

     Pour changer les choses dans son pays, Wilbard Chambulo a un temps pensé faire de la politique. « Aujourd’hui, j’ai réalisé que ce n’est pas le meilleur domaine pour faire évoluer la situation. » Mais Willy et les autres professionnels du tourisme observent avec attention la venue des élections présidentielles, l’année prochaine. « Si le gouvernement actuel reste en place, il y a un risque que rien ne change. Si Chadema, le parti d’opposition, passe, ou bien le changement attendu arrivera, ou bien la corruption restera la même. » Elle pourrait aussi empirer, aux dires de beaucoup, car « ceux qui s’installeront au pouvoir ne seront pas encore riches et pourraient piller davantage encore les ressources du pays ».

Anne-Emmanuelle Lambert


Article paru dans Forbes Afrique,connu pour ses classements des plus grandes fortunes
Willy Chambulo

Willy Chambulo, figure locale du tourisme tanzanien
Kibo guides


féminisme tanzanie

féministe tanzanie

Écrire commentaire

Commentaires: 0